« Vous qui pénétrez dans mon cœur, ne faites pas attention au désordre » (Jean Rochefort)
La phrase peut être conjuguée à un autre temps.
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Toi qui as pénétré dans mon cœur, ne fais pas attention au désordre qui règne chez moi.
Si tu n'étais pas parti aussi tôt, j'aurais aimé partager avec toi ce désordre, je pense que tu m'aurais aidée à lui donner un sens, à lui donner forme, à lui donner vie.
Car dans ce désordre, il y a tout plein de toi.
Ces écrits, laissés inachevés, les tiens, les miens, nous aurions pu finir de les écrire ensemble.
Toutes ces photos, ces photos faites par toi, tu m'aurais aidée à les classer et à les ranger, tu m'aurais dit le nom de ces personnes que je ne connais pas, tu m'aurais expliqué leur vie et ce qu'elles représentaient pour toi. Ces photos sont toujours dans des cartons, elles attendent. Et ces personnes resteront toujours des inconnues pour moi.
Ces instruments de musique que j'ai acquis et dont je ne sais pas me servir, ou alors très mal, tu m'aurais appris à en faire sortir une jolie mélodie, toi le musicien et amoureux de la belle musique.
Je pense à toi lorsque je me rends dans notre petite maison bleue, tu aimais tellement ce lieu, il était pour toi un paradis, un lieu de ressourcement, d'apaisement.
Je me souviens lorsque nous allions jusqu'à la rivière, ou faire un tour au bois des Suchères, ou encore que nous montions en haut du village à l'orée du bois du Garet. Nous nous asseyions sur le talus, tu sortais ton carnet de croquis, ton crayon, et tu dessinais le village, le paysage.
Tu te sentais bien, tu oubliais tous les soucis et toutes les contrariétés, notamment dus à ce chef de service. A cette époque, je ne comprenais pas pourquoi tu parlais de lui si durement, je ne savais pas qu'il te faisait autant souffrir par ses remarques dévalorisantes et blessantes.
Quand tu es parti dans l'autre monde, j'étais encore une gamine, nous n'avons pas eu le temps d'avoir une relation d'adulte à adulte, j'aurais aimé connaître cette relation. Nous aurions pu échanger sur des lectures, des films, sur des sujets d'actualité. Tu m'aurais accompagnée dans mes choix, je t'aurais parlé de mes craintes, de mes doutes, tu m'aurais aidée à prendre confiance en moi.
Mais si je t'écris cette lettre ce soir, c'est avant tout pour te remercier.
C'est grâce à toi, toi le poète et le rêveur, si je sais apprécier et m'émerveiller devant le beau. Je ne suis jamais blasée, j'ai toujours cette soif de découvrir et cette facilité à m'extasier.
C'est grâce à toi si j'ai appris la tolérance, la patience et le respect des autres.
Et puis, j'ai hérité de ta sensibilité et j'en suis heureuse. Je sais qu'elle t'a fait souffrir et que certains se sont moqués de toi. A l'époque, un homme se devait d'être fort, d'être le pilier de la famille. Tu avais du mal dans ce rôle-là, toi l'homme fragile. Et comme tu as dû souffrir de cette incompréhension de la part des autres et surtout de celle de tes proches. Mais moi j'aime cet homme sensible que tu as été et je suis fière de lui ressembler.
Bien sûr que notre relation en tant que père/enfant n'a pas toujours été facile, je te trouvais distant et froid, j'avais l'impression de n'avoir que très peu de place dans ta vie. Mais j'ai compris au fil des années, et en lisant certains de tes écrits, que ton âme était en grande souffrance. J'en connais maintenant les raisons et je ne reviendrai pas dessus, mais sache que cela me fait t'aimer encore davantage.
Ta fille qui t'aime
Bonjour Françoise, lorsque tu écris :
RépondreSupprimer"Nous nous asseyions sur le talus, tu sortais ton carnet de croquis, ton crayon, et tu dessinais le village, le paysage." J'ai vraiment l'impression de vous observer tous les deux, comme si cet instant était là, devant moi, au présent...
Bonsoir Biche
SupprimerMerci pour ton commentaire. Je suis contente que tu l'aies ressenti ainsi (sourire).
Belle et douce fin de journée.
Quelle lettre magnifique ! j'en ai les larmes aux yeux !
RépondreSupprimerJ'en suis touchée, Ambre. ♥
SupprimerCette phrase de Jean Rochefort, imposée par une consigne, épouse à merveille tes états d'âme, tels que tu les exposes dans ce texte. On y perçoit des tiraillements, presque des contradictions, de la reconnaissance, de l'amour, des regrets, de la souffrance incomprise hier et que tu parais endosser, en partie aujourd'hui, transformée en sensibilité, comme une parcelle d'héritage qui complète celles qui transparaissent dans ton amour filial.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé ce texte, Françoise.
Oui, Rom, c'est tout à fait cela, et tu le dis joliment bien, merci.
SupprimerEt merci d'avoir beaucoup aimé ce texte.
Belle fin de journée. Bises.
Coucou Françoise. Merci pour ce très beau texte que tu partages avec nous. Tu as raison, tu as hérité de bien des choses de ton père et même si votre chemin commun a été trop court, il reste là, au fond de ton coeur, pour te dicter plein de choses. Certes, il y a des instruments de musique un peu trop silencieux mais il t'a appris la musique de la vie. Et c'est le plus important. Bises alpines affectueuses.
RépondreSupprimerCoucou Dédé
SupprimerLa musique de la vie, j'aime bien ces mots, et j'aime aussi les autres mots que tu dis. Merci.
Bises de ma plaine bassoise.
Un père, un phare.
RépondreSupprimerUn phare qui ne s'éteint jamais, même dans une nuit d'encre.
Beau texte, émouvant, tendre et généreux.
Bises émues.
Un père, un phare, oui, qui nous guide malgré son absence et les années qui passent.
SupprimerMerci pour tes mots, Letienne.
Bonne fin de journée. Bises.
Bonne fête ! Bises !
RépondreSupprimerOooh... Merci, Ambre ! :-)
SupprimerDes bises à toi aussi.
Ah un papa, c'est plus étranger qu'une maman, il faut chercher, une fois l'âge venu, pour trouver qui il était, et pouvoir alors, si on a eu un bon papa, comme toi, s'exclamer : merci! Quelle chance j'ai eue que tu aies été mon papa...
RépondreSupprimerC'est un peu cela, Edmée. Lorsqu'on ne l'a que très peu connu, il faut prendre le temps de le découvrir à travers ses écrits, et les souvenirs aussi. Les souvenirs d'un enfant se transforment au fil du temps et délivrent un nouveau message une fois que l'enfant est devenu adulte.
SupprimerMerci pour ton commentaire. Bonne soirée, bises.
Emu....
RépondreSupprimerBises
D.
Merci Doume ♥
SupprimerBises itou.
Très beau texte. Nos parents, nos grand-parents partent en nous laissant plein de questions qui n'auront jamais de réponses.
RépondreSupprimerAlors c'est à nous de les imaginer d'après ce que l'on sait d'eux.
SupprimerParfois, je me dis : Qu'aurait fait ma mère en cette circonstance ? Qu'aurait-elle dit ?...
Cela peut nous aider...
Un très bel hommage à ton père, émouvant. Souvent nous n'avons pas les réponses à toutes nos questions, nous n'avons pas les clés pour comprendre leur jeunesse, leur époque, leurs espoirs déçus. Le sensibilité peut être une faiblesse ou une force, à nous d'en faire quelque chose de positif. Bisous et une douce journée
RépondreSupprimerVoilà, c'est tout à fait ça, à nous d'en faire quelque chose de positif !
SupprimerMerci pour ces mots, Manou.
Bonne fin de journée, bisous.