dimanche 14 novembre 2021

On peut aussi s'enfuir par là...

Texte écrit pour une consigne de Kaléïdoplumes.  

En vous inspirant de cette photo, écrivez un texte dont l'EXCIPIT sera : 
 « On peut aussi s'enfuir par là... » 


La citation est de Jean-Michel Maulpoix, et la photo représente Marie-Noëlle Drouet.



Gaétan s'inventait une autre vie, il avait trouvé ce moyen pour s'échapper de la réalité dans laquelle il ne se sentait pas bien. Un jour, il avait acheté un cahier avec une belle couverture rouge et brillante. Sur la première page, il avait écrit les mots suivants : « Moi ! », un titre qui avait tout son sens. Il l'avait caché sous son lit, il n'avait pas envie que ses parents le lisent, ni que son frère mette la main dessus, il l'aurait déchiré de toute façon. Ce cahier, c'était son jardin secret. 

En fait, sur ce cahier, lui, le jeune garçon timide et maladroit, lui qui était sûr de n'intéresser personne, devenait un héros, les gens l'admiraient et l'aimaient. Dans cette vie imaginaire, il était le premier de la classe, il excellait en tout, les filles étaient amoureuses de lui, il existait ! 

 Ses parents, contrairement à ce qu'il pensait, s'inquiétaient de le sentir aussi absent et renfermé avec eux, Gaétan parlait peu en leur présence. Son corps était là, mais son esprit était ailleurs. D'ailleurs, c'est ce que disait aussi sa maîtresse à l'école. Aussi, un jour, après en avoir longuement discuté entre eux, ses parents décidèrent de l'emmener voir une psychologue. Malgré son manque d'enthousiasme, Gaétan accepta. Ils eurent la chance de tomber sur la bonne personne,  le courant passa tout de suite entre elle et Gaétan. Elle lui dit sans doute les mots qu'il attendait et au bout de quelques séances, il finit par lui parler de son cahier et de sa vie imaginaire. 

 Elle lui dit que c'était une très bonne idée d'écrire sur son cahier, mais qu'au lieu de s'inventer une autre vie, ce serait peut-être mieux qu'il écrive au contraire tout ce qui le contrariait, le chagrinait, il pourrait ensuite en parler avec elle, et elle trouverait une solution, elle l'aiderait. Elle-même, lui raconta-t-elle, lorsqu'elle était une jeune fille du même âge que lui, avait écrit sur un cahier tout ce qui lui faisait mal, tout ce qu'elle ne comprenait pas, et ainsi elle avait pu être aidée. Maintenant elle allait bien, elle s'était débarrassée de tous ses soucis et elle aidait les jeunes gens en difficulté. Cela rassura Gaétan, il se sentit moins seul et enfin compris. 

 Il fit ce que cette dame à la voix si douce lui avait suggéré. A partir de ce jour, il écrivit tout ce qui lui tenait à cœur, tout ce qui l'angoissait, tout ce qu'il ne comprenait pas, et lorsqu'il allait la voir, il emportait son cahier. Elle lui disait de lire à voix haute, et elle l'écoutait attentivement. Le jeune garçon hésitait parfois sur certains passages, mais elle l'écoutait toujours avec bienveillance, alors il continuait à lire. Ainsi, elle put comprendre ce qui angoissait tant cet enfant, elle put en parler avec lui. Et tout doucement, le jeune garçon prit confiance en lui, il comprit qu'il avait lui aussi sa place dans sa famille, à l'école et dans tout endroit où il se trouvait, qu'il n'était pas une ombre, qu'il existait. Il comprit aussi qu'il était un enfant digne d'être aimé avec ses singularités et ses différences. 



Des années plus tard, alors qu'il était adulte, Gaétan se remémora cet épisode de sa vie. Maintenant, c'est lui qui aidait les jeunes gens en difficulté, tout comme cette dame qui l'avait secouru. Et il se rappela ses mots : « Lorsque nous arrivons à mettre des mots sur nos souffrances, nos difficultés, nos peurs, cela peut aider à guérir, c'est une ouverture à autre chose, une découverte de soi. L'évasion peut aider un certain temps mais en affrontant la réalité et grâce à cette confrontation, on peut aussi s'enfuir par là... »